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LE POUVOIR EST-IL ADDICTIF ?

Publié le 30 juillet 2015 par pmx

Portrait de Napoléon par Andrea Appiani

Le Pouvoir est-il  identifiable  et assimilable à une addiction comportementale, comme la cyberdépendance, l’addiction aux jeux et l’addiction solaire ?  La réponse est oui pour 

Emmanuel Pinto, psychiatre et addictologue. Il enseigne la neurobiologie des addictions à l’Université de Liège, et ses recherches se sont focalisées sur la génétique de l’alcoolo-dépendance. Je vous fais découvrir son texte sur addiction et pouvoir.

« La quête et l’exercice du pouvoir semblent par bien des aspects s’apparenter au parcours des individus développant petit à petit un syndrome de dépendance à une substance.

On connaît désormais bien les ressorts neurobiologiques qui sous-tendent le syndrome de dépendance aux substances psychotropes. La sollicitation répétée du circuit de récompense cérébral entraîne petit à petit une forme de parasitage des fonctions vitales destinées à maintenir l’équilibre de l’individu, au profit de la consommation qui devient progressivement incontrôlable. Cette perte de contrôle constitue le cœur du phénomène de dépendance. Une vulnérabilité individuelle conjuguée à des éléments environnementaux contribue à fragiliser certains individus et à les rendre plus susceptibles de développer une addiction, à un produit mais aussi à un comportement.

Les dépendances comportementales sont en effet multiples (dépendance au sexe, à internet, au jeu, etc…) et font globalement intervenir les mêmes mécanismes psychologiques et biologiques que les dépendances aux psychotropes.

À voir combien certains hommes politiques ou grands patrons s’investissent dans des courses effrénées aux investitures, mandats ou autres honneurs sous couvert de leur passion du bien public ou de leur esprit d’entreprise, négligeant ainsi petit à petit des pans entiers de leur vie personnelle et développant en cas d’échec des réactions que l’on pourrait qualifier de dépressives, il serait légitime de s’interroger sur la nature addictive du pouvoir, enjeu le plus souvent caché de la démarche politicienne.

Sans préjuger de la sincérité de l’action de la plupart des hommes et femmes de pouvoir, il est intéressant de relever combien, comme une drogue, le pouvoir, sa conquête et son exercice sont désinhibants. Des individus effacés durant leur enfance ou leur adolescence semblent y trouver un espace leur permettant de s’affranchir d’un bon nombre de freins personnels, d’une pression sociale ou d’éléments anxieux. De même, et des « affaires » récentes le confirment, le pouvoir constitue un puissant aphrodisiaque venant potentialiser un fantasme de puissance sexuelle, de toute puissance et d’impunité, ce que peuvent décrire les consommateurs de certaines drogues.

Si l’on s’attache par ailleurs aux critères du syndrome de dépendance des manuels de psychiatrie, on pourrait être aisément tenté de les appliquer en partie au comportement des hommes de pouvoir :

  • Désir persistant du pouvoir ou existence de plusieurs efforts infructueux  pour réduire ou contrôler son envie de pouvoir ou son exercice de pouvoir. L’ambition et le désir sont au en effet au cœur de la conquête du pouvoir et de son exercice, auxquels l’individu finit par consacrer l’essentiel de son énergie. La crainte du vide à l’idée de perdre le pouvoir justifie tous les sacrifices et entraîne une forme de fuite en avant.
  • Temps considérable consacré à faire le nécessaire pour se procurer un mandat électif, l’exercer ou se remettre de ses effets. Se remettre de la perte d’une élection ou d’un mandat a souvent été décrit par les hommes politiques comme une entrée en dépression, avec la nécessité de se réadapter à une existence perçue comme vide et moins attrayante. Ceci n’est pas sans rappeler le syndrome de sevrage apparaissant à l’arrêt de la consommation de substances et que semblent éprouver des individus ayant investi une activité sur un mode de dépendance.
  •  D’importantes activités sociales, occupationnelles ou de loisir sont abandonnées ou réduites en raison de l’exercice du pouvoir. Tout comme la toxicomanie, le pouvoir isole et ne favorise guère la réflexion sur soi.
  • L’exercice de la politique est poursuivi en dépit de la connaissance de problèmes physiques ou psychologiques provoqués ou aggravés par celui-ci. L’exercice du pouvoir est connu pour être usant, physiquement et psychologiquement et peut s’accompagner, comme l’addiction aux psychotropes, d’une co-dépendance. Le triste exemple d’hommes politiques « inusables » mais victimes de leur investissement excessif et de la consommation parallèle de produits délétères en est un exemple malheureux.

La quête et l’exercice du pouvoir semblent donc par bien des aspects s’apparenter au parcours des individus développant petit à petit un syndrome de dépendance à une substance. Sans entrer dans la caricature, on peut ainsi estimer avec François Mitterrand que, souvent, « ce qui intéresse l’homme politique (…) ce n’est pas l’argent. C’est le pouvoir. Il ne pense qu’à ça tout le temps, jour et nuit. S’il passe ses dimanches à serrer des mains, écouter des raseurs ou faire de la route, c’est pour le pouvoir. S’il sacrifie tout, sa famille, sa santé, sa dignité, c’est toujours pour le pouvoir. Il gâche sa vie pour être conseiller général ou président de la République ». Avant lui, Napoléon, qui s’y connaissait lui aussi, avait pu écrire que « la manie de régner sur les esprits est la plus puissante de toutes les passions »… »

Emmanuel Pinto

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